Alors que la qualité du sommeil devient une priorité croissante, de nombreux couples envisagent de faire chambre à part, un choix qui suscite débats et questions en France et bien au-delà.
Le retour des chambres séparées
Le concept de faire chambre à part n’est pas nouveau; il connaît même un regain d’intérêt ces dernières années. Selon une étude de l’Académie américaine de médecine du sommeil, plus d’un tiers des couples américains dorment séparément. En France, ce chiffre s’élève à environ 10 %. Cette tendance traduit une volonté de plus en plus marquée de privilégier la qualité du sommeil du couple, essentielle pour la santé physique et mentale.
Une pratique ancienne et fluctuante
Le concept de lit conjugal remonte à la Rome antique, où le « lectus genialis » était à la fois symbolique et fonctionnel, servant à des moments d’intimité et de conversation tout en désignant un espace personnel. Toutefois, dormir séparément n’était pas courant à cette époque.
Au Moyen Âge, les espaces de vie étaient en grande partie communautaires, notamment pour les familles pauvres qui partageaient souvent même le lit ou l’espace de couchage proche d’une source de chaleur. Les familles plus aisées pouvaient se permettre des chambres individuelles.
Durant la Renaissance, les chambres à coucher privées ont commencé à se généraliser, particulièrement chez les aristocrates et la royauté. Toutefois, même à cette époque, il n’était pas rare que les couples mariés optent pour des chambres séparées.
L’ère victorienne a marqué un tournant où le sommeil partagé entre époux devint la norme sociale. Cependant, à la fin du 19e siècle, certains experts médicaux préconisaient à nouveau la séparation des lits pour des raisons de santé. Des personnalités influentes comme William Witty Hall et Edwin Bowers insistaient sur les avantages de lits individuels. Hall préconisait « un lit individuel dans une grande chambre propre et lumineuse », tandis que Bowers affirmait que « des lits séparés pour chaque dormeur sont aussi nécessaires que des assiettes séparées pour chaque mangeur ».
Les années 1920 ont vu les lits jumeaux devenir un symbole de statut social. Pourtant, les années 1950 ont réaffirmé la popularité des lits doubles, en partie grâce à la culture de l’après-guerre qui valorisait l’image d’une chambre conjugale unifiée.
Les raisons d’un divorce du sommeil
Si partager un lit peut renforcer l’intimité émotionnelle pour certains couples, cela peut constituer une source de tension pour d’autres. Le psychologue Dan Ford de la Better Sleep Clinic en Nouvelle-Zélande note que différentes raisons peuvent motiver cette décision : ronflements, insomnie chronique ou horloges biologiques divergentes. L’incompatibilité de rythmes de sommeil peut amener certains couples à adopter des chambres séparées afin de préserver la qualité de leur sommeil.
Une recherche de l’université du Michigan indique que partager un lit peut compromettre cette qualité, augmentant le risque de conflits au sein du couple. Les chercheurs de l’université de Californie, Berkeley, ont montré que les disputes entre partenaires augmentent après une mauvaise nuit de sommeil.
Aménager un espace personnel
Tami Shadduck, une professeure américaine, a trouvé le sommeil séparé bénéfique suite aux ronflements de son mari. Ayant essayé durant la pandémie de dormir seule, elle ne reviendrait pas en arrière : « Quand on dort, on dort, et l’intimité ne se construit pas quand on est inconscient ». Il est essentiel, selon Neil Stanley, de créer un véritable espace personnel, bien distinct de la chambre d’amis. Cet aménagement peut inclure un lit et une décoration qui reflètent la personnalité de l’individu.
Une chambre personnelle ne signifie pas fin de l’intimité ou de la connexion émotionnelle. L’autrice américaine Marcella Hill a partagé sur TikTok son expérience où faire chambre à part n’a rien enlevé à l’intimité, et au contraire, a ajouté une dimension nouvelle et excitante à sa relation.
Quels impacts sur la relation de couple ?
Si un « divorce du sommeil » peut améliorer drastiquement la qualité de vie pour certains couples, pour d’autres, il pourrait provoquer des sentiments de déconnexion émotionnelle. La gestion de cette pratique doit être appropriée et respectueuse des besoins émotionnels de chaque partenaire.
Neil Stanley, expert du sommeil, insiste sur le fait que dormir séparément ne reflète pas nécessairement la solidité d’une relation. « Le divorce du sommeil n’est pas une punition mais un acte de bienveillance mutuelle ». Cette décision doit être communiquée ouvertement et adoptée de manière volontaire pour être véritablement bénéfique.
En définitive, la normalisation des chambres séparées est une question de bien-être et de mode de vie. En prêtant attention aux besoins spécifiques de chaque couple, pouvons-nous repenser l’intimité conjugale à travers le prisme du sommeil séparé ?